Le féminisme selon Miuccia Prada.

Je vous prépare une sélection des plus beaux-bizzaro-excentro-chero souliers des 4 semaines de défilés. En m’attelant à Prada, je n’ai pas pu m’empêcher de me mettre à penser. C’est bien ! diront certains.

Ce n’est pas tant sur la joliesse objective ou pas des modèles que je me suis arrêtée mais sur l’histoire qu’ils racontaient. Miuccia n’a pas la langue dans sa poche (il paraît qu’elle crée surtout en parlant, pas de ciseaux ni de crayons) et ses collections comportent de multiples messages, souvent, au sens indirect. Cette cuvée 2013 m’est apparue comme particulièrement représentative de la femme Prada dont Miuccia dessine les contours depuis toutes ces années.  Une femme sophistiquée à l’extrême qui se place comme une conquérante, guerrière des villes. Une féministe, Miuccia ? Et bien, oui. Dans cette interview donnée à l’occasion de son expo au MET à New York, elle raconte qu’elle était une féministe dans les années 60. Et que le pire pour elle était donc bien de faire de la mode. Le domaine superficiel par excellence aux yeux des plus méprisants. (La mode, superficielle ? Seuls ceux qui n’aiment pas réfléchir affirmeront cela.) Et Miuccia révèle qu’elle s’est sentie mal à l’aise durant de nombreuses années, écarquillée entre son cerveau et son talent… Jusqu’à ce qu’elle découvre que des gens intelligents pouvaient respecter la mode et que celle-ci ouvrait à de multiples champs : l’architecture, l’art ou le cinéma.

Tout cela est contenu dans sa collection de chaussures de l’hiver 2013. Regardez.

 Il y a la guerrière au premier degré. La Miuccia de la jeunesse. Des chaussures d’hommes aux pieds, des boucles et des zips pour dire « ‘tention toi, je suis un dur moi ! ». La semelle est épaisse et protège d’un environnement dangereux : pluie des trottoirs et regards noirs.

Et puis, il y a l’adepte du luxe dans toute sa splendeur. Une sandale un peu retro-cinéma en 100% crocodile. Un truc à 2000 au bas mot.

Et l’amoureuse des années 40, du cinéma, du Golden Age hollywoodien. Les lignes ultra-féminines et assumées de l’après-guerre. No problemo baby, i am woman, a real woman. L’autre versant de Miuccia.

Et il y a le moment ou ces mêmes lignes féminines rencontrent la tentation de l’architecture. Des angles et des axes par le jeu des surpiqûres et des empiècements. Un zip posé là pour rappeler que la force n’est pas loin, tout comme le désir de protection.

La palette des couleurs, indissociable de la vie d’artiste. Bon, et puis c’est beau quoi, ce rouge… sanglant.

L’adepte de la féminité et de ses textures satinées s’arroge le droit aux souvenirs et vient flirter avec un compensé en bois, référence aux souliers des années 40, dont la hauteur vertigineuse rappelle le Girl Power des 70’s. Les messages commencent à s’interconnecter.

Et voilà, la femme Prada dans toute son audace. La ligne est celle d’une sandale du soir mais la semelle crantée en caoutchouc rappelle à l’ordre les intentions initiales. Les matières « futiles » et brillantes comme le cuir lamé côtoient l’âpreté de la laine bouillie, manteau des soldats. La hauteur protège. Le zip et la boucle aussi. Le tout est sophistiqué et guerrier.

Et si cette chaussure était la démarche la plus féministe jamais réalisée de toute l’histoire de la chaussure et du féminisme ?

Ouah.

(je crois que c’est bien de finir la-dessus).

En fait, non. Je préfère quand même dire que c’est un questionnement qui m’a toujours beaucoup envahi. Que penser de la mode lorsqu’on a des valeurs féministes ? Comment assumer d’en faire son métier lorsqu’on aime l’intellectualité ?

Toutes les images proviennent du site style.com.

À 10 millions de partages, je me mets toute nue en Loubout’ à Répu.

3 commentaires

  1. Café Mode - 24 février 2013 - Répondre

    T’envoies du lourd, là. J’aime bien ton analyse. Moi aussi j’ai des problèmes avec ma conscience de féministe, sur les chaussures en particulier. Par exemple, la hauteur de ces souliers Prada me perturbe: je trouve ça magnifique, mais ça cambre le pied d’une manière presque douloureuse à regarder tellement c’est haut. Et donc, je sais qu’une femme ne peut décemment pas faire 100 mètres avec ces merveilles aux pieds. Ca incite donc, quelque part, la femme à rester un objet (de désir) quand elle les porte. OK, elle ne les portera pas tous les jours, mais bon…

  2. Myriam Reguia - 20 avril 2013 - Répondre

    Ton blog est super, je l’ai découvert en lisant Garance Doré ou Café Mode je ne sais plus… Certaines de ces Pradas sont en effet imettable! A quand un post sur les Creepers?

  3. Je découvre ce blog avec délice… Et je suis absolument subjuguée de lire à la fin de ce post, formulée de façon si claire, une question qui me préoccupe si souvent!
    Trop à faire ce dimanche soir pour y esquisser un semblant de début de réponse! Mais je serai heureuse de dialoguer autour de ce thème!

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